Schumacher small is beautiful : une vision économique au service d’un avenir plus soutenable

Et si “petit” rimait enfin avec “durable” ?

Il y a des livres qui marquent. Pas forcément par leur taille – bien au contraire – mais par la clarté de leur vision, leur pertinence, et surtout leur capacité à nous faire voir notre monde sous un autre angle. Small is Beautiful (ou Une société à la mesure de l’homme en français) d’E.F. Schumacher est de ceux-là. Publié en 1973, cet essai d’économie atypique n’a rien perdu de sa fraîcheur ni de sa pertinence – bien au contraire ! Quand on vit à une époque où “toujours plus” est devenu une devise implicite, il est bon de croiser un penseur qui ose dire : “Et si, finalement, le progrès, ce n’était pas grossir, mais grandir autrement ?”

Schumacher, économiste pas comme les autres

Avant de se plonger dans ses idées, arrêtons-nous un instant sur l’homme. Ernst Friedrich Schumacher, économiste britannique d’origine allemande, a été tour à tour conseiller économique pour le gouvernement britannique, consultant pour des organismes de développement… et critique radical du modèle productiviste occidental. Rien que ça !

Son regard sur l’économie est nourri de ses expériences de terrain, notamment dans plusieurs pays du Sud où il observe une réalité très éloignée des modèles abstraits enseignés dans les salles de classe. Pour Schumacher, l’économie ne peut pas être détachée de la nature, des humains et des valeurs spirituelles. Une idée toute simple, et pourtant si révolutionnaire.

Pourquoi « small » est-il « beautiful » ?

Le constat de Schumacher part d’un paradoxe : dans un monde aux ressources finies, pourquoi chercher à produire toujours plus, plus vite, au mépris des équilibres naturels ? Sa réponse : cela ne peut pas fonctionner à long terme. Ce modèle consumériste nous mène droit dans le mur écologique, social et humain.

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Alors, quelle alternative propose-t-il ? Une économie « à taille humaine », qui :

  • respecte les ressources naturelles et les limites planétaires,
  • s’appuie sur des technologies simples, accessibles et réparables,
  • valorise le travail local et les circuits courts,
  • remet l’humain – et son bien-être – au cœur du processus économique.

Loin d’être une utopie passéiste, cette vision rejoint aujourd’hui de nombreux mouvements que l’on voit émerger : sobriété heureuse, low-tech, relocalisation, décroissance, permaculture… Tous revisitent à leur manière ce socle commun de “moins, mais mieux”.

Des technologies modestes mais puissantes

Un des concepts phares de Schumacher est celui d’“intermédiaire technology”, autrement dit les technologies appropriées. Ce sont des outils pensés pour être peu coûteux, durables, faciles à entretenir et adaptés à leur contexte local.

Si cela vous fait penser à une marmite norvégienne, à des toilettes sèches ou à une éolienne autoconstruite, vous êtes dans le bon ! L’idée n’est pas de rejeter l’innovation, mais de l’interroger : est-elle vraiment bénéfique pour tous ? Est-elle résiliente ? Peut-elle être maîtrisée collectivement ou nous rend-elle dépendants d’un système centralisé ?

Quand on regarde l’essor actuel des mouvements low-tech ou de DIY écologique, il est évident que l’intuition de Schumacher était précurseur. Préférer une solution “suffisamment bonne” mais locale et autonome, plutôt qu’un bijou high-tech importé aux coûts énergétiques colossaux : voilà un choix résolument moderne.

Une économie spirituelle ? Et pourquoi pas ?

Schumacher ne se contente pas de critiquer les écarts du capitalisme. Il va plus loin en introduisant la notion de “métaphysique de l’économie”. Il nous invite à reconsidérer le sens même de la croissance, de la richesse, de la consommation. À se poser cette question devenue presque subversive : à quoi bon produire toujours plus, si cela ne nous rend ni plus heureux, ni plus humains ?

C’est ici que son approche rejoint les réflexions philosophiques et spirituelles (il s’est d’ailleurs rapproché du bouddhisme), en mettant en garde contre une société qui confond progrès et expansion, efficacité et humanité. Une économie soutenable, pour lui, c’est avant tout une économie pleine de sens.

Je sais, ça peut sembler un peu perché à première vue. Mais si l’on prend le temps d’y réfléchir… n’est-ce pas justement ce qui nous manque aujourd’hui ? Une boussole intérieure pour guider nos choix sociaux et économiques, au-delà des seuls indicateurs financiers ?

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Petites structures, grands potentiels

“Small is beautiful” ne signifie pas “restons petits par peur de grandir”. Cela dit simplement que la taille doit être adaptée à la fonction. Schumacher nous alerte contre une centralisation excessive et une complexité technocratique qui éloignent les citoyens des décisions les plus essentielles.

C’est un plaidoyer vibrant pour la diversité, la résilience locale et la démocratie économique. Dans cette optique, les petites coopératives, les AMAP, les monnaies locales ou encore les entreprises sociales incarnent à merveille cette philosophie de proximité et de sens.

Et si, au lieu de viser le gros chiffre d’affaires, on s’interrogeait sur l’impact réel de notre activité sur la communauté, sur les sols, sur le climat ? On commence à voir fleurir des indicateurs alternatifs comme l’Indice de bonheur national brut (au Bhoutan) ou la Dotation Écologique Territoriale (en France), qui traduisent cette volonté de mesurer ce qui compte vraiment.

Nous sommes tous des “Schumacher” en puissance

On pourrait facilement classer ce genre de réflexion dans la catégorie “grandes idées pour politiciens éclairés”. Pourtant, c’est justement ce que Schumacher cherche à éviter. Pour lui, chaque citoyen a un rôle à jouer, chaque geste quotidien peut être un levier d’harmonie.

Se tourner vers une économie plus sobre et humaine, c’est :

  • choisir un producteur local plutôt qu’un supermarché impersonnel,
  • réparer son grille-pain au lieu de le remplacer,
  • participer à une initiative de jardin partagé,
  • privilégier des vêtements durables et éthiques,
  • et pourquoi pas, partager un moment ou une compétence au lieu d’acheter quelque chose ?

Ce sont ces “petits gestes” que nous défendons ici sur Com-de-Terre, car mis bout à bout, ils forment une trame puissante. Une culture de la suffisance joyeuse, du collectif joyeux, et d’une certaine forme de résistance créative.

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Un héritage terriblement actuel

Réédité de nombreuses fois, cité dans bon nombre de colloques et encore aujourd’hui recommandé par des penseurs écologistes contemporains (d’Alexander à Latouche), Small is Beautiful demeure un phare dans la brume matérialiste ambiante.

Un demi-siècle après sa publication, ce plaidoyer pour la simplicité volontaire et la coopération humaine reste incroyablement moderne. Il interpelle notamment les générations futures, en quête de cohérence entre leurs valeurs et leur mode de vie.

Et puis, disons-le franchement : dans un monde aux prises avec les dérèglements climatiques, les pandémies, l’érosion de la biodiversité et l’épuisement des ressources, cette vision apparaît moins comme une alternative douce… que comme une nécessité vitale.

Alors, la prochaine fois que vous entendrez “il faut croître pour survivre”, posez-vous simplement la question suivante : et si, au lieu de grossir, on essayait de mieux s’enraciner ?

Parce que, comme l’écrivait Schumacher, « Une société peut être jugée selon la dignité qu’elle accorde à ses membres les plus faibles, et selon la manière dont elle utilise l’abondance si rare de sa Terre. »

Et cette sagesse-là, elle ne prend décidément pas une ride.