Comprendre l’écoféminisme : une convergence entre écologie et lutte féministe
L’écoféminisme est un courant de pensée qui émerge dans les années 1970, à la croisée des chemins entre l’écologie politique et le féminisme. Il propose une lecture nouvelle et holistique des enjeux environnementaux, en établissant un parallèle entre l’exploitation de la nature et l’oppression des femmes. Porté par des penseuses telles que Françoise d’Eaubonne, Vandana Shiva ou encore Starhawk, ce mouvement affiche une volonté de transformation sociale profonde, en remettant en question des structures de domination intériorisées depuis des siècles.
Ce courant, bien qu’encore marginalisé dans certaines sphères politiques et sociales, gagne en visibilité à l’heure où les crises écologiques, sociales et identitaires s’intensifient. Il ne s’agit pas seulement de penser l’écologie autrement, mais également de revoir en profondeur notre rapport au vivant, aux autres et à soi-même. Il propose une véritable refondation du vivre ensemble sur des bases d’égalité, de respect et de solidarité.
Des racines communes : exploitation de la nature et domination patriarcale
Pour les écoféministes, la domination des femmes et la destruction de l’environnement trouvent leur origine dans le même système de pensée : le patriarcat, conjugué à un mode de production capitaliste extractiviste. Ce système repose sur la hiérarchisation des êtres, la séparation entre culture et nature, et la valorisation d’un modèle de développement basé sur la croissance illimitée au mépris de l’équilibre naturel.
Dans cette vision, la Terre est vue comme une ressource inépuisable à contrôler, tout comme le corps des femmes l’a été historiquement, notamment à travers le contrôle de leur fécondité, leur place dans la sphère domestique, ou leur rôle économique souvent invisibilisé. L’écoféminisme établit donc un parallèle puissant : la surexploitation des ressources naturelles est le miroir de l’oppression et de l’invisibilisation des femmes.
L’écoféminisme comme réponse aux modèles de développement dominants
Face à la crise écologique actuelle, l’écoféminisme propose une critique radicale des modèles de développement issus de la modernité occidentale. Il rejette la vision utilitariste de la nature comme simple « ressource », et invite à revaloriser les savoirs locaux, les pratiques agricoles durables, et les liens interconnectés entre les êtres vivants.
Il valorise notamment :
- Les formes de production respectueuses de l’environnement, comme l’agroécologie ou la permaculture, souvent portées par des femmes dans les pays du Sud.
- Les systèmes alimentaires locaux et résilients, reposant sur des circuits courts, des pratiques traditionnelles et un équilibre entre l’homme et son écosystème.
- Les initiatives communautaires et autogérées qui favorisent l’empowerment des femmes et l’autonomie collective.
En remettant l’humain au cœur des écosystèmes, l’écoféminisme remet en question la verticalité des rapports de pouvoir et prône l’émergence de sociétés plus inclusives, horizontales et respectueuses du vivant.
Un vivre ensemble fondé sur le soin et l’interdépendance
Émanant d’une vision holistique du monde, l’écoféminisme introduit une philosophie du « care » (soin) dans la relation au vivant, aux autres et à la planète. Ce concept, développé par des penseuses comme Carol Gilligan ou Joan Tronto, propose une éthique fondée sur la reconnaissance des vulnérabilités humaines et non-humaines, et sur la nécessité de prendre soin plutôt que de dominer.
Dans cette optique, les valeurs traditionnellement associées au féminin – écoute, compassion, coopération – ne sont plus dévalorisées ou reléguées à la sphère privée, mais deviennent les fondations d’un vivre ensemble durable et solidaire. Cette approche est en rupture avec le modèle compétitif, productiviste et hiérarchique dominant. Elle redonne de la valeur aux gestes de soin, qu’ils soient médicaux, éducatifs, agricoles ou relationnels.
Le vivre ensemble proposé par l’écoféminisme repose donc sur :
- Le respect des différences sans hiérarchisation.
- La reconnaissance des interdépendances entre les êtres vivants.
- La co-construction de solutions ancrées dans les territoires, les cultures et les vécus locaux.
Il ne s’agit pas d’un retour à une idéalisation romantique de la nature ou de la femme, mais d’un projet profondément politique, émancipateur et inclusif.
Des exemples inspirants d’écoféminisme en action
Partout dans le monde, des mouvements incarnent les principes de l’écoféminisme dans leurs luttes et leurs pratiques. Parmi eux, on peut citer :
- Le mouvement « Green Belt » au Kenya, mené par Wangari Maathai, qui a combiné reforestation, autonomisation des femmes rurales et lutte contre la pauvreté.
- Les femmes zapatistes au Mexique, qui défendent une gestion collective des biens communs, dénoncent les violences de genre et promeuvent un modèle économique alternatif enraciné dans l’autonomie des communautés.
- Les collectifs paysans en Inde, portés par des femmes rurales qui s’organisent pour défendre leurs terres contre les industries agrochimiques, promouvoir les semences locales et pratiquer l’agriculture biologique.
- Les Soulèvements de la Terre en France, où les femmes ont une grande place, mêlant désobéissance civile, lutte anti-extractiviste, et réflexion sur l’écologie politique et les rapports de genre.
Ces expériences montrent que l’écoféminisme n’est pas qu’un concept théorique, mais une force transformatrice qui s’incarne dans des pratiques concrètes, ancrées dans le terrain et porteuses d’alternatives au modèle dominant.
Une opportunité pour repenser nos politiques environnementales
Aujourd’hui, l’intégration des perspectives écoféministes dans les politiques publiques peut constituer un levier puissant pour répondre aux défis du changement climatique et des inégalités sociales. L’écoféminisme appelle à dépasser les approches purement technocratiques de l’écologie, en tenant compte de la justice sociale, de la diversité des voix et des savoirs, et des dynamiques de pouvoir à l’œuvre dans nos sociétés.
Il suggère de :
- Repenser les politiques agricoles en soutien aux femmes rurales, aux pratiques agroécologiques et aux circuits courts.
- Valoriser les métiers du soin, trop souvent précaires et féminisés, comme piliers de la transition écologique.
- Mettre en place une gouvernance écologique inclusive, où les femmes, les minorités et les peuples autochtones ont une voix égale dans les décisions.
Enfin, l’écoféminisme invite à changer notre manière d’habiter la Terre : en cultivant le lien plutôt que la séparation, en construisant ensemble des sociétés résilientes, solidaires et profondément écologiques. Il offre une grille de lecture alternative pour penser l’avenir – un avenir où l’équité, le respect du vivant et la coopération prennent enfin le pas sur l’exploitation, la compétition et la destruction.